LPPR : (non) déclaration SUD-RE au CNESER du 12 juin ! Ce que nous aurions dit si nous avions pensé être entendu-e-s

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Le calendrier de passage accéléré devant les instances du projet de loi « LPPR », en plein « dé-confinement », ne peut être compris que comme une tentative indigne de prendre de vitesse une communauté universitaire et scientifique majoritairement hostile au projet LPPR,
Ce calendrier mise clairement sur les difficultés à remobiliser une communauté qui se débat pour réorganiser son travail, alors que les restrictions des libertés publiques - nonobstant la condamnation de ces restrictions par le conseil d’état - rendent plus difficile l’action collective.

Donner à peine une semaine pour examiner un texte qui touche à la fois au code de la Recherche, au code de l’éducation, et même au code du travail, prévoir une succession d’instances qui ne permet pas de prendre en compte les apports de chacune d’entre elle, c’est bien la preuve que les avis émis n’intéressent en rien ce ministère, qui n’entend que le lobbying !

C’est pourquoi, même si la presse nous a quelque peu oublié-e-s, nous avons décidé avec les organisations de la CGT et de la FSU de boycotter le CNESER du 12 juin.

Mais voici néanmoins la déclaration que nous aurions lue si il y avait eu une chance que nous soyons entendu-e-s.

Madame la ministre, Mesdames et Messieurs les représentantes d’intérêts divers et variés, Camarades de lutte.

Vous vous en doutez, en seulement quelques jours, nous n’avons pu mener qu’une analyse très sommaire de ce projet qui touche à la fois au code de la recherche et au code de l’éducation, et même au code du travail. Bien des pièges ont pu nous échapper, en particulier sur les points qui nous ont été soigneusement dissimulés dans les discussions préalables. Mais le tableau qui se présente à nous n’en est pas moins effrayant !

Ce projet de loi répond manifestement à une ligne purement idéologique. Nous en voulons pour preuve le rapport annexé, qui souligne le décrochage de l’outil de recherche français, mais se garde bien de comparer la chronologie de ce décrochage aux différentes mesures imposées depuis 15 ans. Car cette comparaison montre clairement que ce décrochage résulte de la casse de ce qui faisait notre force : l’attractivité par la stabilité des structures et la pérennité des statuts.

Celles-ci ont été progressivement sapées par la mise en place de l’ANR et de l’AERES (loi Fillon), par l’austérité et la réorganisation brutale programmées par les lois Pecresse et Fioraso, par la mise en concurrence pour les financements dits d’« excellence » (et nous n’oublions pas les prémisses du non-regretté Allègre).
Que propose aujourd’hui ce projet pour lutter contre ce décrochage ? D’aller encore plus loin dans cette voie, de renforcer tout ce que cette assemblée (NDLR : le CNESER) a dénoncé : le PIA (Programme d’investissements d’avenir), la logique du financement par projet, le CIR (Crédit impôt recherche) !

Ce projet de loi contient des dispositions réellement catastrophiques, assorties de déclarations « poudre aux yeux ». Un exemple parmi beaucoup : la projection « effets [de la loi] sur le nombre d’emploi sous plafond » alors qu’on sait que les établissements n’ont pas les moyens budgétaires d’atteindre le plafond ... et qu’on ne leur en donne pas plus. Et des dispositions budgétaires en trompe-l’œil, nous y reviendrons plus loin.

Là où notre force, et notre attractivité, résidait dans l’emploi de titulaires, cette loi créerait des situations de précarité à vie (enchaînement de contrats de mission). Oh, certes, on prévoit de conserver quelques emplois de titulaires, de préférence réservée à des « excellents » (repérés dès la maternelle sans doute, ou sur leur carnet d’adresse ?) recrutés sans concours. Le texte va même jusqu’à vouloir modifier le code du travail ! Ainsi, pour faire de la recherche, on pourrait déroger au droit commun dans le public comme dans le privé… Pas pour être mieux payé, pas pour avoir de meilleures conditions de travail, non, juste pour pouvoir rester précaires plus longtemps. Croyez-vous, Madame la Ministre, que c’est comme ça que vous améliorerez l’attractivité des métiers scientifiques ? S’il y a des articles qui démontrent qu’on fait de la meilleure recherche quand on est précaire, alors il faudrait nous les montrer…

Ce projet prévoit aussi le transfert des augmentations des moyens vers l’ANR, véritable machine à déstabiliser les équipes et à bloquer les stratégies scientifiques à long terme ! Le financement par projet, véritable machine à exacerber les égos, comme s’il en était besoin dans le milieu scientifique ! Mais, Madame la ministre, la crise sanitaire ne vous a donc rien appris ? Voulez-vous donc que la prochaine fasse encore plus de dégâts ? Voulez-vous que les écarts à la déontologie pour rechercher le « buzz » se multiplient, que la fraude scientifique explose ? Au diable le collectif, ne comptera plus que la starification (attention à la prononciation !). 

Ce que nous savons, ce que cette assemblée a déjà démontré chiffres à l’appui, c’est que l’augmentation du poids de l’ANR, surtout à travers des projets blancs, ne peut qu’entraîner l’impossibilité de mener une politique scientifique à long terme, ne peut que transformer les structures en simple hôtel à projets, hébergeant des équipes en concurrence entre elles, sans synergie, sans visibilité, dans un temps politique et médiatique qui n’a rien à voir avec le temps scientifique.

L’augmentation du préciput n’y changera rien : ce ne sera qu’une source de tensions supplémentaires entre les équipes et leurs établissements, encore une raison de porter en avant celles et ceux qui « vont chercher l’argent » au détriment des équipes qui font la recherche, encore une source de pression pour arroser là où c’est mouillé en s’opposant à une mutualisation qui permettrait d’équilibrer un peu les choses. Là encore, le rapport annexé cherche à nous perdre dans les chiffres, en rapprochant par exemple les 22% en Allemagne (qui inclut les coûts salariaux) à une cible de 40% (qui ne les inclue pas !). Certes, ces évolutions s’appuient sur des modèles pratiqués à l’étranger. Mais a-t-on pris la peine de regarder le coût de ces modèles lorsqu’on veut que ça marche ? Va-t-on sacrifier l’organisation scientifique la plus efficace au monde sur l’autel de l’idéologie libérale, afin de donner toujours plus de pouvoirs aux médiocres, plus doués pour distribuer les labels d’excellence ou exercer leur pouvoir de nuisance que pour faire avancer les connaissances ?

Nous n’avons pas eu le temps matériel de projeter les effets sur les structures de recherche des différentes dispositions qui nous avaient été dissimulées auparavant. Par exemple, qu’est-ce qui motive la création d’un titre 3 du code de la recherche, à part rendre plus subreptice l’introduction de la possibilité pour les fondations de créer elles-mêmes des unités de recherche ? Admirons également au passage l’article 19 qui ratifie tranquillement une ordonnance du 12 décembre 2018, sans évaluation de ses effets, sans débat parlementaire spécifique ! Mais bon, la conception du débat démocratique de ce gouvernement ne doit plus nous surprendre.

Loin de réformer les organismes nationaux de recherche pour mieux leur permettre d’œuvrer à sauvegarder l’universalité de la science, à l’émergence de nouvelles thématiques, pour leur permettre de parer aux difficultés de la structuration en discipline, réels obstacles à la pluridisciplinarité tant vantée et jamais facilitée, le rapport annexé ne les conçoit au contraire que comme le « bras armé de l’État au service de politiques publiques » ! Tout en affirmant dans la même phrase la « liberté de la recherche » ! Sans rire ?

Car le « renforcement de la contractualisation des acteurs », c’est bien tout le contraire : c’est soumettre la politique scientifique aux souhaits de l’appareil politique. Et c’est clairement dit : « renforcer l’engagement des établissements dans les orientations et les politiques de l’ESRI, », « accroître la mobilisation des établissements sur les priorités de la relance » ! Les COM (NDLR : Contrats d’Objectifs et de Moyens, qui étaient rapidement devenus « CO » sans M) réapparaissent, mais ce n’est manifestement que pour faire pression sur les organismes. « Il s’agira, en leur attribuant des crédits non pérennes (dans le cadre des contrats, avec une visibilité pluriannuelle) ... » : tout le contraire de ce dont on a besoin. Non contents d’augmenter le financement par projet, même le financement des infrastructures devra être non pérenne ! 

Et pour encore mieux mettre la pression, on disposera d’un HCERES resserré, d’avantage aux ordres (à croire qu’il dérivait trop vers l’évaluation-conseil, celle qui n’a pour seul but que de permettre aux équipes de s’améliorer) : non, pour les tenants de cet projet de loi, l’HCERES doit produire une « évaluation plus globale et plus stratégique », « permettre d’affecter spécifiquement des moyens » . Mais au cas où cette reprise en main ne marcherait pas , ou pas assez longtemps, l’article 9 supprime la référence à cette évaluation spécifique en ce qui concerne le financement, pour permettre le cas échéant de passer outre.

Quant à « amplifier l’apport de la recherche à toute la société », nous ne pourrions qu’être d’accord ... Mais ce que ce projet de loi prévoit, c’est encore plus de détournement de fonds publics, c’est tout ! Les articles 12 et 13 sont une invitation à vendre les travaux des instituts publics, même s’il ne s’agit pas de ses propres travaux !

Et tout ça en faisant affront à l’intelligence de la population que vous prétendez honorer et défendre ! Car les mesures budgétaires sensées faire avaler la pilule ne sont même pas à la hauteur d’un plat de lentille :
*- des primes pour le personnel (pas de revalorisation salariale), enfin, pas pour TOUT le personnel mais seulement quelques-un-es, qui conduisent à une augmentation MOYENNE correspondant à à peine la moitié de l’inflation constatée ces dernières années (1,20% par an en moyenne depuis 2007, 1,05% depuis 2016)
*- une augmentation budgétaire dans la continuité de celles depuis 2016, (et inférieure à l’augmentation du PIB (2.7%/an en moyenne sur la même période) ; il n’est même pas sûr, Madame la ministre, que ce que vous promettez maintienne le budget au pourcentage actuel du PIB. En effet, en projetant les effets de la loi sur la DIRDA (DLR Dépense Intérieure de Recherche et Développement de l’Administration) d’aujourd’hui, on arriverait à environ 23 Milliards d’€ (contre 18 aujourd’hui) en 2030. En projetant l’évolution du PIB depuis 2006 (pour inclure la récession de 2009 et les « années noires » de 2010-2014), soit 2,11% par an en moyenne, le budget en 2030 correspondrait à 0,76% du PIB, soit à peine plus que le niveau de 2019 (0,75%), et resterait inférieur à celui de 2016 (0,78%) donné par le rapport annexé au projet de loi. On comprend pourquoi l’objectif des 1% est repoussé à 2040, puisqu’on ne rattrape même pas la perte subie ces dernières années ! Surtout que ces dispositions budgétaires ne valent que ce que valent les promesses, car toujours dépendantes du vote de l’ensemble du budget lors des lois de finances.

Une loi de programmation POUR la recherche, et non pas DE la recherche aurait pu être l’occasion de renforcer ce qui marche (la stabilité des structures et des personnes, qui permet de respecter le temps propre de la recherche, la coopération entre structures nationales et régionales, la couverture thématique large, le travail collectif, l’évaluation-conseil) et de lutter contre ce qui ne marche pas (la sclérose thématique, les effets de mode, la fausse interdisciplinarité, la starification, la compétition et la concurrence, le pouvoir des petits- chefs, le publish or perish, l’évaluation-sanction, le financement par projet prédominant, ... . Au lieu de cela, nous ne voyons que l’aggravation de la politique même de ce qui a conduit au fameux « décrochage » mis en exergue pour tenter bien misérablement de justifier ce projet. Si nous devions qualifier en une formule ce que nous inspire ce projet et cette politique, ce serait (CH3)2CH-CH2-CH2-SH.

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