INRA : Expression de la délégation SUD, première entrevue avec le nouveau PDG, septembre 2016
Le 27 septembre, notre syndicat rencontrait pour la première fois, en bilatérale, le nouveau PDG - Philippe Mauguin - accompagné du collège de Direction. L’occasion de lui faire part de nos préoccupations actuelles, tant sur les orientations scientifiques de la recherche agronomique que sur les conditions de travail de ses personnels...
Des questions sur lesquelles nous sommes ensuite revenus lors du Comité Technique, tenu le lendemain, et au cours du Conseil d’Administration d’octobre. Nos représentant/es au CCHSCT l’ayant déjà interpellé lors de la réunion de l’instance tenue à la mi septembre (articles en cours de rédaction).
Questions pouvant alimenter les prochaines rencontres avec les personnels du tour de France entamé par la nouvelle direction... avec le carton rouge « RIFSEEP » initié à Rennes, puis à Avignon !
Version pour impression en fichier joint ainsi que pour les adhérent/es, les notes de la délégation.
Reprise de l’expression de notre délégation lors de cette entrevue, centrée sur 2 axes, l’orientation scientifique pour la recherche agronomique et les conditions de travail de ses personnels.
1. Quelles orientations scientifiques pour la recherche agronomique ?
a. Notre vision des défis pour la recherche agronomique
Notre vision de la recherche en agronomie est intimement liée à notre vision et notre analyse de la situation actuelle de notre monde et des demandes qui sont formulées pour l’agriculture de demain.
Nous rejetons l’argument maintes fois rabâché par les tenants d’une agriculture productiviste que la France va devoir nourrir le monde dans un contexte de croissance démographique. En effet, il est établi que depuis presque 40 ans, on produit déjà sur notre planète bien plus que nécessaire pour nourrir l’ensemble de la population mondiale selon les normes de l’OMS (2500kcal/j/personne). Cela n’empêche pas 800 millions de personnes de souffrir de malnutrition ou de famine quand dans le même temps deux milliards d’autres souffrent de surpoids ou d’obésité.
Il est bien connu aussi que les véritables causes des grandes crises alimentaires sont liées à la pauvreté, aux guerres et conflits armés et aux tensions sur les marchés agricoles notamment en raison des biocarburants et on sait par ailleurs qu’une part importante de ce qui est produit pour nourrir le monde est gaspillé (entre 30 et 50 %) et qu’une part importante est utilisée pour nourrir des animaux (entre 30 et 50 % des céréales), ce qui laisse une grande marge d’amélioration.
Enfin, cet argument qu’il faut augmenter toujours plus la production, notamment dans les pays du Nord, est un non-sens total car :
– De nombreuses filières souffrent déjà d’une surproduction (voir les exemples récents du sucre, de la viande, du lait…) ;
– Il n’est pas pensable d’imaginer que c’est aux Pays du Nord de produire l’alimentation des Pays du Sud comme l’avait très justement souligné un de vos prédécesseurs, M. B. Hervieu ;
Le modèle agricole dominant dans les pays du Nord a montré ses limites à travers :
– l’impact de l’agriculture sur l’environnement, illustré par exemple par sa contribution à la crise climatique actuelle ;
– la dépendance aux énergies fossiles dans le contexte certain de leur raréfaction ;
– la multiplication des crises sanitaires (avec les problèmes liés aux pesticides, médiatisés en ce moment, mais aussi par exemple à travers l’utilisation massive des antibiotiques et ses conséquences sur les résistances ou les épidémies des virus aviaires liés aux élevages industriels asiatiques ;
– la destruction de l’emploi agricole et ses conséquences sur la désertification des territoires périphériques ;
– la défiance croissante des consommateurs vis à vis de certains produits agricoles.
Dans le même temps le désir des consommateurs et des citoyens s’exprime de plus en plus clairement de pouvoir consommer des aliments de qualité produits dans le respect de l’environnement et de ceux qui les produisent. L’essor spectaculaire des filières courtes en est d’ailleurs une très bonne illustration.
Ainsi, si l’INRA n’a pas le pouvoir de changer la politique agricole de la France, elle a par contre le devoir d’éclairer ceux qui sont en charge de cette politique et de fournir les solutions au monde agricole pour réaliser cette transition nécessaire entre l’agriculture industrielle, qui restera dépassée même si on y ajoute des drones et des plantes génétiquement modifiées, et l’agro/eco-agriculture de demain qui demandera une implication de tous, des acteurs de terrain jusqu’aux chercheurs. »
b. Notre bilan du précédent mandat
Avait-on vraiment, comme l’affirme la communication institutionnelle, une science belle, utile et partagée ?
En 2005 puis en 2010 l’expertise scientifique pesticides et l’étude Ecophyto R&D furent à l’honneur de la recherche publique. Mais ces dernières années les travaux de l’INRA ont été en-deçà des enjeux actuels :
– Rapport à charge, pour le Commissariat Général à la Stratégie et la Prospective, calamiteusement partisan contre l’AB ;
– Capitulation devant le lobby FNSEA-coopératives-UIPP sur le plan Ecophyto 2018 ;
– Détournement et dévoiement du concept d’agroécologie pour y recycler le maximum de recherches en cours sans envisager aucune réorientation significative ;
– Accords scandaleux avec Avril et Tereos, partenariats public-privé pour la chimie verte …
Ces constats sont argumentés dans notre communiqué du 7 juillet dont les annexes compilaient nos prises de positions SUD sur ces sujets. Nous ne nous levons pas chaque matin en cherchant quoi reprocher aux choix de recherche de la direction de l’INRA, mais les orientations prises nous obligent, en conscience, à réagir en alertant le personnel mais aussi, et c’est pour notre syndicat incontournable, l’ensemble des personnes concernées et/ou intéressées. Nous préférerions consacrer moins de temps à cette activité de veille et d’alerte et plus à nos travaux de salariés INRA.
Et en tant que salariés de la recherche agronomique publique, nous sommes désolés de retrouver l’INRA presque chaque semaine en page 5 du Canard Enchainé pour dénoncer 70 ans au service du productivisme agricole ! Nous avons souvent utilisé une analogie avec l’EDF, pour nous l’INRA a autant de difficultés avec les agricultures alternatives que le secteur R&D d’’EDF peut en avoir avec les énergies renouvelables. C’est même de blocage qu’il faudrait parler ici.
Nous pensons que la mission de notre institut est de donner de l’espoir en travaillant sur toutes les voies d’avenir pour l’agriculture, l’environnement et l’alimentation. Pourquoi les recherches institutionnelles ne sont-elles pas montrées dans un film comme « Demain » ? Le 28 août France 2 a rediffusé le documentaire « les soigneurs de la terre » (du 31 janvier 2016) qui montre bien où se situe la recherche agronomique publique. Et le rapport #Agriculture Innovation 2025 continue hélas dans le même sillon en l’élargissant. C’est très inquiétant…
Pourtant beaucoup de collègues ont fait le choix de travailler dans le service public pour être utiles à l’intérêt commun.
Nous constatons aussi que la communication a souvent dérapé ou que l’INRA a communiqué plutôt qu’informé : communiqué de presse de l’INRA sur les néonicotinoïdes en janvier 2016 ; charte de déontologie ; agneau médusé… Nous sommes un service public de recherche agronomique, nous sommes payés pour informer nos concitoyens, il faut sortir de la communication et revenir à l’information. »
c. Nos demandes
Vous êtes le nouveau PDG et il sera de votre choix d’être, comme vos prédécesseurs, dans la poursuite de l’existant en attendant la catastrophe annoncée, ou bien d’avoir une vision d’avenir combative et l’envie de prendre des risques pour tenter d’ouvrir des voies pour un monde meilleur dans un futur très incertain. Nombreux sont les collègues motivés entrés à l’INRA pour un emploi de service public.
Un jour ou l’autre les citoyens nous demanderont de rendre des comptes car 11 000 personnes sont payées à l’INRA pour préparer l’avenir.
Nous vous demandons
– De revoir le document d’orientation 2016-2020 de l’INRA en :
o Enlevant toute référence à la nécessité, à court terme, de produire plus pour nourrir la planète ;
o Incluant une vision claire du projet pour stopper la dégradation de l’environnement et le restaurer ;
o Cessant d’affirmer que l’INRA (avec moins de 1 % de ses publications ! ) est le champion du monde de l’agriculture biologique, pour donner enfin de vraies moyens pour une ambition de recherche sur l’agriculture biologique, et la reconnaître comme un prototype de l’agroécologie ;
– D’amorcer une réflexion plus globale sur l’organisation du dispositif de recherche à l’INRA pour casser les cloisonnements entre agronomie, environnement et économie, mettre fin à la logique de l’ultra-spécialisation poussée par la politique d’« excellence », d’encourager les chercheurs à s’aventurer sur des secteurs plus risqués à l’interface de différentes disciplines (les métaprogrammes actuels ne sont pas l’outil pour porter une telle ambition, ils sont des usines à gaz qui distribuent une aumône à certaines équipes, souvent les plus constituées, et il existe malheureusement beaucoup de copinage et de clientélisme dans la répartition de leurs financements).
– De mettre fin à la politique de communication de l’INRA pour revenir à une vraie information. »
2. Quelles conditions de travail des personnels ?
a. Notre bilan SUD du précédent mandat
Nous l’avons fait il y a un an à l’occasion de l’évaluation de l’INRA par l’HCERES.
Un dialogue social largement insuffisant :
– Certaines instances nationales (Comité Technique, Conseil d’Administration) ne sont que des chambres d’enregistrement des décisions de la Direction, sans réelle concertation avec les organisations syndicales, à l’image cette année de la réorganisation et des fusions à marche forcée des instances de proximité (conseils de centre), sans concertation ni bilan ;
– La Direction a refusé que la moitié des agents de l’INRA, ceux des corps techniques, participent au Conseil Scientifique National (CSN), alors que cette ouverture existe dans d’autres EPST depuis longtemps.
– L’information et la concertation fonctionnent mal dans les instances consultatives, à l’image du rapport d’autoévaluation de l’INRA, que la direction de l’institut a rédigé et choisi de garder secret, le réservant exclusivement à la commission d’évaluation du HCERES. Ce rapport n’a même pas été communiqué au Conseil Scientifique National de l’INRA, qui est pourtant l’instance de réflexion et de proposition en matière de politique scientifique et d’évaluation des activités de recherche de l’institut.
– Les documents préparatoires aux instances nationales sont souvent adressés au dernier moment - quand ils le sont ! - malgré des demandes répétées des représentants du personnel.
Un taux de précarité explosif : 7919 équivalents temps plein titulaires, 428 doctorants, 1445 contractuels (hors doctorants) dont 1064 hors plafond soit 15 % de précaires hors doctorants sur le total des ETP
– Les CDD se multiplient pour compenser partiellement la diminution progressive des postes statutaires. Toute une partie de la recherche est menée par des personnels dans une situation précaire, subie pour beaucoup d’entre eux.
– Les agents en CDD sont encore plus précarisés depuis la loi Sauvadet, avec l’exclusion systématique de ces personnes de l’institut au bout de quatre ans.
– Cette précarité est dommageable pour les personnels concernés mais aussi pour les titulaires, la diminution des recrutements de postes statutaires ayant une incidence directe sur le nombre de promotions internes.
– La qualité et l’efficacité de la recherche pâtissent du recours massif aux CDD (situations de travaux inachevés au départ du CDD, absence de capitalisation des compétences dans les laboratoires, temps passé à former les CDD).
Des restructurations qui fragilisent la recherche :
– L’INRA multiplie les très grandes unités (TGU) sans examiner les conséquences sur les collectifs de travail. Les Unités Expérimentales sont aujourd’hui confrontées, comme nous l’avons souligné lors d’un récent dysfonctionnement, à la baisse des moyens en personnel titulaire dans les métiers concernés et à la gestion chaotique des programmes au gré des financements aléatoires sur projet.
– En Ile de France, un déplacement est imposé pour 13 unités, soit 491 agents, titulaires ou CCD, vers le plateau de Saclay qui est mal desservi par des transports en commun saturés et aux dysfonctionnements récurrents, cauchemar de circulation routière, et sans logements sur place : un non-sens scientifique, humain, écologique et financier.
Des difficultés à obtenir des financements publics, une part croissante de financements privés, des inégalités budgétaires entre chercheurs car :
– Les financements publics sont à la baisse et ils mobilisent une part toujours plus grande du temps des chercheurs pour tenter de les obtenir ;
– Les équipes reconnues et travaillant sur des sujets en phase avec les modèles dominants ont un avantage compétitif, rendant difficile l’étude de concepts ou hypothèses originaux et l’émergence de nouveaux groupes de recherche ;
– Les chercheurs du service public sont encouragés à s’engager avec des partenaires privés dont les intérêts recouvrent de manière très imparfaite ceux de l’intérêt général ;
– Les financements sont très inégalitaires selon les disciplines, les thématiques de recherche, les régions, la notoriété des laboratoires, les individus au sein des laboratoires.
La continuité et la qualité de la recherche mises à mal par le mode de financement sur projets de trop courte durée :
– De nombreux programmes de recherche sont limités à une durée de trois ou quatre ans, délai souvent difficile à tenir en raison des incertitudes inhérentes à la recherche, et les équipes ne disposent plus que d’une visibilité à très court terme pour le financement de leurs travaux ;
– Les chercheurs sont contraints de répondre à des appels d’offre multiples chaque année afin de prévenir d’éventuels échecs et de s’assurer d’un financement continu, les chercheurs sont contraints d’adopter un comportement opportuniste qui se fait au détriment d’une évolution discutée et partagée pour l’évolution de leurs travaux ;
– La surenchère de promesses de résultats pour décrocher des financements exerce sur les collectifs de recherche une pression peu compatible avec la rigueur et la qualité, générant un malaise chez le personnel.
– Il existe une démotivation des techniciens et ingénieurs qui sont rattachés à des projets à court terme et deviennent « main-d’œuvre mutualisée » du fait de la forte diminution des recrutements et la création de plates-formes techniques.
Une perte d’efficacité et des tensions dans les relations interpersonnelles dues à la croissance des urgences, du multitâche et de la dispersion du temps de travail hors science :
– Une part croissante du temps des chercheurs consacrée à des activités non scientifiques (recherche de financement, gestion de budget, administration de projets, recrutement et encadrement de CDD, évaluations multiples, communication, mise en place de réseaux en vue d’appels d’offres futurs, rédaction des demandes d’autorisation à expérimenter…) ;
– Une charge de travail en augmentation exponentielle pour les services d’appui à la recherche, et plus encore pour les gestionnaires d’unité suite à la diminution de la part de la subvention d’Etat dans le budget de l’unité et la multiplication du nombre des contrats de recherche avec desrègles de gestion complexifiées ;
– Des évaluations des personnels basées sur des indicateurs discutables : facteurs d’impact pour les chercheurs, IGEST (charge normalisée de gestion) pour les gestionnaires d’unité,…
b. Nos demandes
– Arrêter de mettre les gens en concurrence et sauvegarder l’esprit collectif de la recherche
Vous arrivez dans des conditions qui n’ont pas été simples, vous avez une formidable occasion de redonner un sens au terme « collectif de recherche » et ainsi éviter l’atomisation prévisible et annoncée des équipes, DU compris, en choisissant de ne pas mettre en œuvre le RIFSEEP à l’INRA. Il faut aussi abandonner la PEDR. Il faut revoir les conditions de l’évaluation des chercheurs, comme demandé en intersyndicale en CAP, en reprenant les fiches CSS pour revaloriser la contribution collaborative simple et l’implication dans le fonctionnement collectif et mettre moins en avant la prise de « leadership », valorisée de manière excessive dans la version actuelle de cette fiche.
– Conditions de travail et emploi pérenne
Il faut que vous vous battiez pour changer les conditions de financement des projets de recherche par l’ANR, l’Europe, les investissements d’avenir et les ministères