Les réformes en cours nuisent gravement à la Recherche Publique : AERES, arrêtez de nous enfumer ! (Tome 1)

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AERES arrêtez de nous enfumer
l’article en PDF (4 pages)

Décret du 26 avril sur les ISFIC [1] permettant de faire exploser le montant des primes « des chefs », décret du 1er août pérennisant l’ANR, intronisation le 25 septembre à l’Elysée du HCST, proclamation le 4 octobre par de Villepin des treize heureux gagnants du concours des RTRA, décret du 3 novembre
sur l’organisation et le fonctionnement de l’AERES, projet de Loi de Finances 2007 soumis au vote de l’Assemblée Nationale le 21 novembre,... la libéralisation du service public de recherche et d’enseignement supérieur avance à grands pas !

Ce papier se veut une invitation à la réflexion et au débat sur la réforme du système d’évaluation en cours (qui s’est beaucoup focalisé ces derniers temps sur le décret AERES), en la replaçant dans le contexte de la mise en oeuvre de la loi de programme dont elle n’est qu’un des éléments. C’est le premier volet d’une série où nous essaierons de faire le point sur toutes ces transformations en profondeur de la recherche publique, destinées à faire régner la concurrence à tous les étages, selon le credo de l’Europe libérale actuelle.

L’AERES : une pieuvre, une usine à gaz, une machine à standardiser et uniformiser ...

Cette « Agence d’Evaluation de la Recherche et del’Enseignement Supérieur » a été créée par la loi de
programme pour la recherche du 18 avril 2006 (dans le cadre du fameux « pacte pour la recherche »), portée par une forte demande du milieu universitaire (où il n’y a pas de dispositif d’évaluation de la recherche), dans une sorte de fantasme d’une super-structure qui évaluerait, soupèserait, comparerait, noterait toute la recherche publique du haut en bas, depuis les établissements jusqu’aux individus. Une
machine à standardiser, uniformiser la recherche publique, à faire régner la pensée unique, baptisée « excellence » !
Devant l’infaisabilité de la chose [2], l’AERES n’a quand même pas été chargée de conduire directement l’évaluation individuelle des personnels, mais c’est quand même elle qui sera chargée « de valider les procédures d’évaluation des personnels des établissements et organismes » et « de donner son avis sur les conditions dans lesquelles elles sont mises en oeuvre ». Ensuite les batailles menées par les défenseurs des systèmes d’évaluation existants ont fini par arracher l’alternative que l’évaluation des activités des unités de recherche puisse être conduite soit directement par l’AERES, soit « en s’appuyant sur les établissements et organismes » mais toujours « selon les procédures qu’elle a validées »... Ce qui renvoie une partie de la question de l’évaluation dans les organismes...
A noter qu’outre les établissements d’enseignement supérieur et les organismes existants (EPST, EPIC), l’AERES sera chargée d’évaluer toutes les nouvelles structures qui vont pousser comme des champignons : les « fondations de coopération scientifique » (PRES, RTRA...) et même l’ANR !
Pour peu qu’une équipe de recherche d’un EPST fasse partie d’une UMR et d’un PRES (ou d’un des 13 RTRA), elle peut se préparer à des évaluations en chaîne !

L’AERES : une structure bureaucratique, entièrement contrôlée par le gouvernement

La loi indique que l’AERES est une « autorité administrative indépendante » ! indépendante de qui ? en tout cas pas du gouvernement, qui nomme tous les membres du « Conseil » qui la dirige. Et grâce à un processus de nominations en cascade, le Ministère détient la clef de la composition de tous les « étages » de cette structure... qui elle ne sera pas évaluée ! (voir description en pages centrales).

L’AERES, c’est quoi ?

L’AERES est une pyramide à trois étages, eux-mêmes hiérarchisés.
En partant du haut vers le bas : un « Conseil » (dont le Président est doté de grands pouvoirs et dirige
l’Agence), trois « sections » chargées de couvrir les différents champs d’évaluation, des « comités d’évaluation » constitués au coup par coup pour réaliser les évaluations.


Le Conseil et son Président

Le Conseil, sous l’autorité de son Président, chapeaute et administre l’Agence. Il aura, entre autres missions,
celles d’élaborer une « charte de l’évaluation » et les programmes pluriannuels d’évaluation, de désigner les
Directeurs de sections (sur proposition du Président...), de valider les avis et les rapports de synthèse « préparés
par les sections au vu des rapports des comités d’évaluation ». Et autres babioles plus administratives
(recrutement de personnel, organisation interne de de l’Agence...). La validation des avis et rapports de synthèse pourra être déléguée à des « formations spécialisées » constituées d’au moins 5 membres du Conseil.

Le Conseil est composé de 25 membres nommés par décret gouvernemental :
 9 « personnalités qualifiées » (dont 1/3 au moins issues de la recherche privée),
 7 « chercheurs, ingénieurs ou enseignants-chercheurs » sur proposition des directeurs ou présidents des établissements publics d’enseignement supérieur et de recherche et des organismes de recherche (y compris fondations telles Pasteur),
 7 « chercheurs, ingénieurs ou enseignants-chercheurs » sur proposition des instances d’évaluation existantes (enseignement supérieur et recherche),
 2 parlementaires membres de l’OPECST.

Ils sont nommés pour un mandat de quatre ans renouvelable une fois (6 ans pour 12 d’entre eux tirés au sort). Le
Président du Conseil (nommé parmi ses membres) est lui aussi nommé par décret. C’est lui qui dirige l’Agence
et son personnel (personnel contractuel recruté par l’Agence et sans doute aussi fonctionnaires détachés ou mis à disposition), avec l’aide d’un Secrétaire Général.


Les sections

Les trois sections, placées chacune sous la responsabilité d’un Directeur, auront pour mission d’élaborer des rapports de synthèse à partir des rapports d’évaluation, et de les assortir éventuellement d’une notation.

 la section 1, dite « section des établissements », s’occupe de l’évaluation des établissements et des organismes (y compris certains PRES [3], les RTRA, l’ANR...) et aussi de la validation des procédures d’évaluation des personnels de ces établissements et organismes (évaluation qui continuera à être effectuée en leur sein) et du contrôle de leur mise en oeuvre,
 la section 2, dite « section des unités » s’occupe de l’évaluation des équipes de recherche,
 la section 3, dite « section des formations » s’occupe de l’évaluation des formations et des diplômes.

Il s’agit de structures administrativo-scientifiques composées de personnels de l’AERES et dirigées par un
Directeur nommé pour ses compétences supposées en matière d’évaluation scientifique. Les directeurs sont désignés par le Conseil de l’Agence, sur proposition du Président et nommés pour un mandat de quatre ans renouvelable.


Les comités d’évaluation

Les comités d’évaluation seront constitués au coup par coup pour réaliser les évaluations commandées par les différents directeurs de sections. Ils travailleront sur dossiers et, pour ceux relevant des sections établissements » et « unités », également par des investigations sur place. Les établissements seront tenus de leur fournir tout document qu’ils leur demanderaient. Ils établiront un rapport d’évaluation, qui sera transmis à leur section.
Leurs membres seront désignés par les Directeurs de sections, dans une « liste de personnalités françaises et
étrangères » établie par le Président de l’AERES
sur la base de propositions des membres du Conseil et des
Directeurs de sections, des Directeurs d’organismes et Présidents d’établissements d’enseignement supérieur, des
instances scientifiques de ces mêmes organismes et établissements.
Pour ce qui concerne l’évaluation des unités, le comité d’évaluation comprendra au moins 6 membres issus de
cette liste auxquels sera adjoint UN représentant désigné par l’instance d’évaluation des personnels dont relève
l’unité évaluée.

Et avec un graphique, vous y voyez plus clair ?

Attention : une évaluation peut en cacher 50 autres !

Avec la mise en place de la LOLF et de ses indicateurs, et le développement généralisé du financement sur
appels d’offres (Europe, Régions, Carnot, ANR, RTRA...) les établissements, les laboratoires, ne cessent d’être
soumis à de multiples évaluations, par des comités d’évaluation constitués pour la circonstance, toujours
évidemment composés de « personnalités scientifiques reconnues » nommées par le gouvernement. Ce sont ces
évaluations-là qui vont en réalité décider de plus en plus des moyens dont pourront disposer les laboratoires en
investissements et en personnels (CDD bien sûr !). Et au-delà, influer aussi fortement sur l’affectation des
financements de l’Etat, largement pré-fléchés par le gouvernement : 200 millions d’euros alloués pour les
RTRA, créations d’emplois prioritairement affectées aux équipes parties prenantes de pôles de compétitivité...

De plus en plus déterminant dans
l’affectation des moyens de la recherche
publique est le rôle joué par les « experts »
(de l’ANR, de l’Europe, etc.) dans la
définition des appels d’offres et la sélection
des projets... Comme en plus on retrouve
partout les mêmes, le risque est grand que
l’AERES - et aussi les instances
d’évaluation des organismes - ne servent
qu’à renforcer les équipes qui auront
remporté des succès à l’ANR (ou ailleurs) et
à enfoncer celles qui n’en auront pas eu...

Dans ce contexte où le pilotage de la recherche est de plus en plus effectué ailleurs que dans les organismes, où
le gouvernement s’empare lui-même des commandes... pour mieux les offrir aux acteurs économiques privés, à
quoi vont servir l’AERES et les structures d’évaluation des organismes (à part décupler le boulot de gestion de
la recherche) ?

Et si leur fonction essentielle était de servir de caution scientifique, de « rideau de fumée », au
pilotage de la recherche publique par l’ANR et les autres bailleurs de fonds ? Et de trier entre les
« excellents chercheurs » (qui « trusteront » primes et avancements) et les autres ?
(tout ça dans
une sainte alliance entre le sabre de la concurrence libérale et le goupillon de l’excellence scientifique)

Que peut-on faire pour échapper à ça ?
Que pourrait être une évaluation positive pour les personnels et pour la collectivité ?

L’AERES ne sera pas opérationnelle tout de suite (2008 ?) et les directions d’organismes, obligées
d’anticiper sur ses exigences, concoctent actuellement des projets d’évolution de leurs dispositifs d’évaluation.
C’est l’occasion de rouvrir des débats de fond : l’évaluation dans quel but ? Pour qui ? Par qui ?
Comment ?

Pour notre part, nous considérons qu’il faut d’abord s’attaquer à l’extension galopante du financement
de la recherche par appels d’offres
, qui déstructure et vide de son sens toute évaluation et toute
programmation scientifique : les deux logiques sont incompatibles ! De même l’évaluation n’a de sens que visà-vis de personnels ayant tous un statut de titulaires. En premier lieu il est donc urgent de supprimer l’ANR et son cortège de CDD et de redistribuer ses moyens aux organismes et universités en emplois de titulaires et en crédits de soutien de base.

Pour nous, l’évaluation n’a d’intérêt que s’il s’agit d’une « évaluation-conseil » et non d’une « évaluation-sanction », si elle privilégie une évaluation collective prenant en compte et reconnaissant le travail de tous ceux
et celles qui y contribuent (les « non-chercheurs titulaires » ne doivent pas être « transparents » !), si elle ne se
résume pas à l’utilisation de critères bêtement comptables (nombre de publications, « impact factor », nombre
de brevets...) qu’un ordinateur pourrait tout aussi bien sortir - ce qui exclut des « usines à évaluer » style
AERES - mais est capable de prendre en compte l’ensemble des missions ainsi que l’utilité sociale de la
recherche publique
, si elle est réellement indépendante de la hiérarchie.

Ni AERES, ni statu quo : une « bonne » évaluation reste à construire !


Sigles, références

 AERES : Agence d’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur
créée par la LPR ; cf. articles L114-3-1 et suivants du Code de la Recherche et décret du 3 novembre
 ANR : Agence Nationale de la Recherche, qui distribue toujours plus de financements sur appels d’offres ; cf. articles L329-1 et suivants du Code de la Recherche et décret du 1er août 2006
 Carnot : label récompensant les recherches menées en partenariat (surtout avec les entreprises)
cf. http://www.recherche.gouv.fr/discours/2006/cpattribcarnot.htm
 CDD : Contrat à Durée Déterminée, de plus en plus répandu et banalisé comme forme d’emploi !
 HCST : Haut Conseil de la Science et de la Technologie ; créé par la LPR (cf. art L120-1)
 ISFIC : Indemnités Spécifiques pour Fonctions d’Intérêt Collectif ; réservées à des cat A exerçant certaines fonctions dans les EPST, dont le montant peut maintenant atteindre 12 000 voire 18 000 € par an...
 LOLF : Loi Organique relative aux Lois de Finances
la LOLF change complètement la construction du budget de l’Etat en passant à une approche par
objectifs évalués par des indicateurs - grotesques la plupart du temps

 LPR : Loi de Programme pour la Recherche du 18 avril 2006 (dérivée du « Pacte pour la Recherche »)
Modifie le Code de la Recherche qui regroupe tous les textes législatifs dans ce domaine
cf.
http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnCode?&commun=&code=CRECHERL.rcv
 OPECST : Office Parlementaire d’Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques
 PRES : Pôles de Recherche et d’Enseignement Supérieur, créés par la LPR, pouvant prendre différentes
formes juridiques dont celle de « fondation de coopération scientifique » ; cf. art L344-1

 RTRA : Réseaux Thématiques de Recherche Avancée ; aussi créés par la LPR obligatoirement sous la
forme de « fondation de coopération scientifique » (le haut du panier) ; art L344-2
le dossier de presse des 13 premiers RTRA sélectionnés vaut son pesant de cacahuètes

http://www.recherche.gouv.fr/discours/2006/cprtra9octobre.htm

[1voir à la fin de l’article les explications des sigles...

[2l’enseignement supérieur, c‘est plus de 63 000 enseignants-chercheurs, et les organismes (EPST et EPIC) plus de 30 000 chercheurs, sans compter les ingénieurs qui sont parfois aussi évalués dans les EPST

[3ceux qui se seront constitués en « fondations de coopération scientifique » comme les RTRA (la crème !)

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