INRA : Procédure de nomination du PDG - Parlons de politique scientifique pour la recherche agronomique !

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Dans ce communiqué, également diffusé sous forme de message à tous les agents INRA, nous faisons part de notre point de vue alors qu’une polémique publique se développe au sujet de la procédure en cours de nomination du PDG de l’Institut.

Parlons de politique scientifique pour la recherche agronomique ! : c’est sur ce thème que nous souhaitons alerter, avant l’audition du candidat pressenti devant les commissions des affaires économiques de l’Assemblée Nationale et du Sénat.

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Nous avons pour principe de ne pas nous prononcer sur le choix de la personne qui sera nommée à la tête de l’INRA. En revanche, nous aurions souhaité que cette procédure de renouvellement du poste de PDG de l’INRA soit l’occasion d’un débat public sur les questions qui se posent à la recherche agronomique – ceci sans surévaluer le pouvoir de la direction d’un établissement de recherche publique, nommée pour appliquer les directives du gouvernement en place. Aussi, c’est sur ce thème que nous souhaitons alerter, avant l’audition du candidat pressenti devant les commissions des affaires économiques de l’Assemblée Nationale et du Sénat.

Un débat s’est engagé à ce sujet lors du dernier Conseil d’Administration de l’INRA le 9 juin dernier, lors de la présentation par la direction de l’INRA du projet de document d’orientation scientifique pour la période 2016-2025. L’agriculture est face à des urgences climatiques, démographiques, énergétiques, alimentaires, économiques, environnementales et sanitaires. Or, dans le projet de document d’orientation, nous retrouvons le refus d’une remise en cause du système actuel, que nous avons dénoncé à différentes reprises ces dernières années au sujet d’autres documents de l’INRA. Contrairement aux positions défendues dans ces documents, nous ne pensons pas que des aménagements à la marge suffisent pour répondre aux défis posés. Au contraire, des réorientations scientifiques profondes sont indispensables.

C’est la position que nous avons déjà défendue à l’occasion du rapport partisan de l’INRA contre l’agriculture biologique ; de sa vision minimaliste de l’agroécologie ; de l’interrogation posée par une commission scientifique internationale sur le service public de recherche défendu par l’INRA ; de sa défense de l’innovation technologique avant tout dans le rapport AgricultureInnovation2025 – un rapport auquel ont contribué l’actuel PDG de l’INRA, en tant qu’auteur, tout comme le candidat à la présidence de l’INRA qui sera auditionné la semaine prochaine, en tant que conseiller du Ministre de l’Agriculture.

Nous demandons :

- Comment avoir un réel service public de recherche agronomique indépendant des lobbies, au service des urgences posées à l’agriculture, à l’alimentation et à l’environnement, sur des objectifs répondant à la demande citoyenne ?

 La recherche publique agronomique explore-t-elle toutes les voies d’avenir de la production agricole et alimentaire et du développement rural, notamment les systèmes alternatifs qui semblent aujourd’hui délaissés ?

 Comment associe-t-elle les différents acteurs aux réflexions, et sous quelles formes, dans une époque de privatisation croissante de la recherche ?

Pour finir, nous souhaitons faire part de deux remarques sur la pétition d’un « collectif de chercheurs » qui proteste « contre le parachutage d’un politique à la présidence de l’INRA ». La procédure opaque de nomination d’un conseiller ministériel à la tête d’un établissement public, cas de figure hélas classique avant des échéances électorales, suscite une réaction légitime parmi les personnels de l’INRA. Cependant,

  Nous nous étonnons que cette pétition porte le logo officiel de l’INRA, qu’elle soit relayée par la hiérarchie de l’INRA, et que tous les agents de l’INRA aient été invités par mail à la signer (les listes de diffusion de l’INRA ont-elles été utilisées pour cette invitation, contrairement à toutes les procédures déontologiques en vigueur ?).

  Le rôle du dirigeant d’un établissement public comme l’INRA est de nature fondamentalement politique, il est donc logique que sa nomination le soit aussi. Ainsi, pour donner un exemple récent, le communiqué de presse trompeur de l’INRA sur les performances des ruches exposées aux insecticides néonicotinoïdes, dénoncé la semaine dernière par la presse, est politique car il a pesé sur le débat parlementaire.

L’intervention de SUD s’opposant au projet de document d’orientation scientifique de l’INRA pour la période 2016-2025 est détaillée à la fin de ce message à tous les agents, également diffusé sous forme de communiqué de presse ce jeudi 7 juillet.

Interventions de l’élu SUD lors du Conseil d’Administration de l’INRA du 9 juin 2016

Document d’orientation 2016-2025

Le projet de document d’orientation scientifique de l’INRA pour la période 2016-2025 présenté par la direction de l’INRA à ce conseil d’administration insiste sur la gravité de la situation : urgences climatiques, démographiques, énergétiques, alimentaires et économiques. Le texte recycle tous les « éléments de langage » de l’époque : agro-écologie, systèmes multi-performants, bouclage des cycles biogéochimiques, locavorisme, données massives, sciences participatives, urbanité…

On y retrouve également toujours la même justification de la nécessité d’augmenter la production et la productivité pour nourrir 10 milliards d’humains. Pourtant, il est bien connu qu’on produit déjà depuis presque 40 ans sur notre planète bien plus que nécessaire pour nourrir l’ensemble de la population mondiale selon les normes de l’OMS (2500kcal/j/personne), sans même compter ni la production agricole destinée à l’alimentation animale, ni les pertes et gaspillages. Pourtant, malgré cette quantité largement suffisante, des millions de gens meurent de faim chaque année (795 millions de personnes –une sur neuf– ont souffert de sous-alimentation chronique entre 2014-2016 selon les données de la FAO) tandis que près de deux milliards d’adultes sont en surpoids dont 600 millions d’obèses. Par ailleurs, toutes les grandes crises alimentaires récentes ont été liées (i) soit aux guerres et conflits armés, ce à quoi l’INRA ne peut pas grand chose, (ii) soit à des questions de pauvreté, (iii) soit aux tensions existantes sur les marchés agricoles et alimentaires (spéculations diverses, agrocarburants).

Par rapport à ce défi réel que constitue la sécurité alimentaire des pays du sud, il est d’ailleurs difficile de comprendre quelle est réellement la vision de l’INRA : s’agit-il d’aider ces pays à atteindre une autosuffisance alimentaire en évitant que celle-ci ne s’accompagne de la destruction des environnements naturels comme les pays du nord l’ont connue, ou s’agit-il de booster la production dans les pays du Nord afin d’alimenter les pays du sud, ce qui constituerait un non-sens total comme l’avait d’ailleurs dénoncé un ex-Président de l’INRA, M. B. Hervieu (ne pas confier l’alimentation de notre planète à une poignée de producteurs…) ?

Bien sûr, l’INRA ne peut être tenu responsable des dérèglements climatiques, de l’obésité croissante dans les populations pauvres des pays du Nord et du Sud, des atteintes graves aux écosystèmes naturels et à la biodiversité, de l’appauvrissement des sols cultivés en raison de pratiques agricoles destructives, de la crise économique et sociale majeure qui frappe le monde agricole et qui se traduit notamment par le fait que tous les deux jours, un agriculteur se suicide, ou de la diminution de moitié du nombre d’exploitations agricoles en 20 ans. Mais, il serait grand temps de s’interroger sur la contribution directe ou indirecte de l’INRA à ces processus à travers ses investissements massifs dans des recherches destinées à industrialiser notre agriculture, que ce soit pour les productions végétales ou animales.

Devant les constats répétés des atteintes sociales, économiques, environnementales de cette agriculture hyperproductiviste et face à la pression croissante des citoyens, l’agroécologie est devenue soudainement un graal qui se décline sous la forme d’un chantier scientifique interdisciplinaire à l’INRA. SUD qui défend depuis longtemps l’idée qu’il est nécessaire de changer de modèle agricole ne peut que se réjouir de ce tournant affiché dans ce document d’orientation. Malheureusement, comme nous l’avions déjà dénoncé lors du rapport de l’INRA sur l’agriculture biologique, de celui sur l’agroécologie et plus récemment de celui sur #Agriculture-Innovation 2025, la vision de l’agro-écologie mise en avant par l’INRA est très éloignée de celle mise en œuvre depuis plusieurs dizaines d’années par ceux qui ont initié cette révolution dans l’agriculture.

Nous retrouvons dans ce document d’orientation toujours ce même refus d’une remise en cause du système actuel comme si des aménagements à la marge pouvaient suffire à répondre aux défis posés. La performance des systèmes reste l’étalon majeur et la dimension participative du monde agricole qui est l’essence même de la mise en œuvre des pratiques agroécologiques n’est toujours présente que marginalement. Nous ne voyons toujours pas de données concrètes sur les arbitrages de l’investissement en recherche, pas plus que d’objectifs chiffrés de réduction des pesticides et des antibiotiques, de réduction des pertes et gaspillages etc etc…

En revanche, ce qui est très concret dans la politique de l’INRA, c’est l’accord-cadre signé avec le groupe agroindustriel Avril (ex Sofiprotéol), après celui signé l’an passé avec la multinationale du sucre Tereos, sachant que ces deux groupes sont des leaders mondiaux de cette agriculture ultraproductiviste qui a conduit aux constats de faillite précédemment établis. Ces deux groupes ont par exemple investi massivement dans la production de biocarburants, notamment dans les pays du sud, avec les conséquences que cela a eu sur l’environnement, sur la santé et l’appauvrissement des populations locales et leur exode massif vers les villes, et sur les tensions dans les marchés alimentaires et sur le développement de fermes usines (dont celle qui fournissait jusqu’au 25 mai des œufs pour Matines). Que l’INRA signe un accord pour travailler avec eux sur la chimie verte ou sur l’amélioration des rendements des cultures dans un contexte de surproduction par exemple pour le sucre, est pour nous totalement incompréhensible et contradictoire en regard des constats globaux catastrophiques effectués au début du document d’orientation et de la nécessité affichée de faire évoluer le modèle agricole.
Il en est un peu de même pour l’agriculture biologique que pour l’agroécologie.

L’AB était soit accablée (rapport pour le CGSP en 2013), soit ignorée (#AgricultureInnovation2025), dans les précédents documents, alors qu’elle est cette fois mise en avant dans un encadré (p. 24). L’INRA se décerne même le titre de champion du monde des recherches en AB. Cependant, quand on sait que seul un peu moins de 1% (41 publications soit 0,96 %) des 4 249 publications de l’INRA lors de cette année 2015 (pour celles qui sont recensées sur le web of science) concerne l’AB, alors que la SAU en AB dépasse les 5% et que le secteur est en plein essor, on voit qu’il reste encore beaucoup à faire en terme d’investissement en recherche sur ce secteur pour pouvoir lui donner un essor à la hauteur des attentes. Notons par ailleurs, que l’INRA considère l’AB comme « un prototype de système alimentaire respectueux de l’environnement » et pas comme un prototype de l’agro-écologie.

L’autre domaine largement mis en avant dans ce document d’orientation est celui de la modélisation ou approches prédictives. S’il ne s’agit pas de remettre en cause l’intérêt de ces démarches, il est quand même permis de s’interroger sur l’investissement massif que semble vouloir être réaliser l’INRA dans ce domaine. La faillite des modèles économiques globaux qui ont été incapables de prédire les grandes crises économiques que notre humanité a subies ces dernières années (et qui se traduit d’ailleurs actuellement par une réorientation des modèles économiques vers des questions beaucoup plus ciblées), et la faiblesse des modèles écosystémiques et épidémiologiques (voir par exemple ce qui s’est passé au moment de l’ESB) devraient inciter l’Institut à plus de prudence dans ses volontés de coupler au sein de grands modèles des composantes économiques, environnementales et sanitaires (page 14) en pensant que le résultat pourra éclairer la décision publique. Ces approches de modélisation ne pourront en aucun cas se substituer à un véritable travail interdisciplinaire entre scientifiques mais aussi avec les acteurs de la société, notamment le monde agricole.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce document qui malheureusement apparait encore une nouvelle fois comme un rendez-vous manqué. La question du financement des recherches pour répondre aux ambitions affichées n’est pratiquement pas abordée alors que le contexte actuel est particulièrement tendu. De même, en ce qui concerne les personnels, il est bien souligné que l’on se trouve « dans un contexte où les possibilités de recrutements externes sont de fait contraintes », et qu’il faudra compter sur la « gestion des compétences internes » : l’institut « attractif et motivant » (objectif 30, p.45) sera peuplé de personnels vieillissants dont la motivation à rechercher des contrats pour survivre ira probablement en diminuant. Et que dire du campus de Saclay qui arrive dans ce contexte financier plus que tendu … pour lequel il nous est dit dans un encadré que les collègues mutés, s’ils y arrivent (cf le délicat plan transport), pourront y trouver les « conditions nécessaires à la sérendipité des grandes découvertes » (p. 42) !

La DG conclut sur l’évaluation de l’INRA par l’HCERES par : « les fondamentaux ne sont pas bousculés. » Donc on ne changera rien.

Point 2.4 partenariat et innovation.

Comme il indiqué en introduction du document préparatoire, il faut faire le lien avec le document d’orientation de la politique INRA en faveur du partenariat (en point 10 du Conseil d’Administration de décembre 2015). Nous sommes frappés de voir à quel point le bilan qui est présenté ici est réducteur au regard des ambitions affichées en décembre dernier, notamment l’ambition d’ouverture vis-à-vis des "autres" acteurs socio-économiques. La réaction SUD à l’époque était plutôt attentiste, et nous ne pouvons qu’être déçus à ce stade. Le tableau ne présente que des indicateurs capitalistiques, soit de propriété soit de revenu : c’est toujours la rente qui compte !

Or on sait bien qu’il s’agit d’une vision désormais beaucoup trop limitée du progrès social et même économique, voir à ce titre les débats sur la redéfinition du PIB... D’ailleurs le document de décembre 2015 mentionnait bien la nécessité d’élargir ces indicateurs en exploitant mieux les rapports collectifs des Unités et des Départements et ceux individuels des chercheurs et ingénieurs.

Par exemple, qu’en est-il en terme d’emploi (des jeunes scientifiques, des agriculteurs ; de leur revenu, de leurs conditions de travail ?). Quid de l’environnement ? De la qualité alimentaire ? Quid des leviers et informations fournis aux collectivités publiques pour agir ? Quid, en résumé, des économies qu’on devrait aussi (surtout ?) cibler en évitant d’avoir à réparer des choix économiques désastreux (coût social du chômage, coût sanitaire de la malbouffe et de la pollution …) ?

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