CNRS : Excellence et Féodalisation Témoignage

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Nous ne le dirons jamais assez : l’Excellence ne mesure que l’adéquation ... au pouvoir de décision. Et lorsque le pouvoir est transféré, l’excellence, elle, ne suit pas.

Nous avons décidé de publier ici le témoignage reçu d’un (encore jeune) chercheur, dont nous avons tenu à préserver l’anonymat.

Pourtant, ce chercheur ne nous a pas toujours suivi. En particulier, il a candidaté à la PES(te), qu’il a obtenue, alors que nous appelions la communauté à rejeter cet instrument à fabriquer les dissensions. Nous ne partageons pas non plus toutes les opinions qu’il exprime ici. Mais son histoire est symbolique à plus d’un titre :

 La soi-disant "Excellence" attribuée par le CNRS ne protège en rien. En particulier, lorsque les intérêts de potentats locaux sont en jeu. Et cette tendance ne fera que s’accentuer avec la montée en puissance des COMUEs et la signature des contrats de site. D’ailleurs, ceux-ci servent déjà de prétexte au CNRS pour ne pas intervenir sur les "politiques locales".

 L’ANR et l’AERES (encore à l’oeuvre, bientôt HCERES) font réellement exploser les collectifs de travail, sont prétextes à diviser, (ré)orienter, exclure... Au grand plaisir des margoulins, dont le pouvoir ne dépend pas de leur apport scientifique mais uniquement de leur capacité à nager en eaux troubles.

 De plus en plus de chercheurs ou techniciens, bien installés, bien notés, se retrouvent du jour au lendemain confrontés à des situations ingérables, mettant en cause aussi bien leur vie privée que leur vie professionnelle.

Alors, s’il y a une morale à tirer de cette histoire (qui n’est hélas pas une fable), c’est bien que la souffrance ne frappe pas que les "mauvais", les "faibles", les "victimes désignées". Chacun d’entre-nous peut s’y retrouver confronté.

Et si souffrir n’empêche pas de se battre ... il n’est pas inutile de commencer avant.

Comment l’ogre caché de la Recherche m’a dévoré

Cette année, je suis promu ! Dans un corps particulier, celui des « CR1 amers ».

Mon témoignage retrace comment j’ai été broyé par une mécanique insidieuse à l’œuvre dans notre système de recherche, mécanique nourrie par les jeux de pouvoir et les nouvelles modalités d’évaluation et de pilotage de la recherche.

D’origine populaire, le métier de chercheur dans un établissement public s’est lentement imposé à moi : ayant profité de l’ascenseur républicain pour m’extraire de mon déterminisme social, je pouvais enfin travailler à mieux comprendre et servir le monde et la République, à mon humble échelle, dans un organisme (le CNRS) dont l’aura m’a toujours ébloui. Ce parcours personnel, fondé sur des valeurs de travail et de discrétion, ne m’a sans doute pas donné toutes les clefs pour appréhender dans toutes ses dimensions le « politiquement correct », les ressorts cachés de l’ambition, de la soif de reconnaissance (plutôt que de connaissance), mon chemin de vie ne m’a pas inculqué non plus le sens de l’intrigue et des alliances, ce qui n’est sans doute pas étranger à ma situation actuelle. Ils sont pourtant nombreux ceux qui m’ont aidé, qu’ils en soient remerciés. Le CNRS lui aussi m’a aidé, et en un certain sens, plus que tout autre, cet organisme m’a beaucoup donné. Alors, pourquoi suis-je devenu amer ?

J’ai ressenti les premières atteintes du mal lorsque CR2, j’ai fait le choix de me séparer de mon chef d’équipe, qui avait auparavant été mon Directeur de thèse. Ce choix était principalement motivé par mon sentiment d’être exploité par un carriériste, un mandarin, un patricien devrais-je même dire, qui m’encourageait certes à être créatif et laborieux, mais avait vu d’un mauvais œil mes velléités de retour sur investissement (en refusant que je signe mes articles en dernier auteur, sur des travaux que j’avais moi-même imaginés, financés, conduits, interprétés, et rédigés sous la forme de publications). Comme ce mandarin, littéralement « dévoré par l’ambition » (de son propre aveu), me fournissait le gîte mais pas le couvert, et qu’il se permettait même de manger dans mon assiette, en voulant récupérer à son endroit le fruit de mon labeur, je décidais alors de me mettre à mon compte. Je souhaitais rompre avec la dialectique du maître et de l’esclave que nous avions instaurée pendant ma thèse, et qui m’était devenue insupportable.

Je fis part à mon Directeur d’Unité de mon souhait de candidater au dispositif ATIP/Avenir dans une autre ville, où un institut de recherche se proposait de m’accueillir à bras ouverts. Loin d’encourager ma démarche de mobilité, mon D.U d’alors me proposa de devenir calife à la place du carriériste : il m’offrit des locaux et l’opportunité d’animer une petite équipe, à la condition de rester dans son Laboratoire. Naïf, j’acceptais et me mis à concevoir d’arrache-pied un ambitieux projet. Ce dernier reçut la note de « C » de la part de l’AERES, alors qu’une autre instance nationale lui octroyait un financement conséquent deux mois plus tard. De l’aveu de tous, l’Agence avait saqué mon initiative pour affaiblir encore plus une Unité qu’il s’agissait de restructurer. Il me fallait quitter mon institut, puisque toute la France pouvait voir, en tapotant sur Google, la note de mon équipe tuée dans l’œuf.

Je pris mon bâton de pèlerin pour rechercher une nouvelle affectation et je trouvais sans peine une équipe d’accueil, dans un chantre de l’excellence. Un peu pressé tout de même, et heureux avec mon petit groupe de pouvoir nous projeter dans une nouvelle aventure, je me montrais peu regardant sur certains détails : l’équipe était dirigée par un médecin, d’une culture complètement différente de la mienne et de celle des collaborateurs que j’avais côtoyés jusqu’alors ; en outre, le laboratoire que je m’apprêtais à rejoindre était situé non pas au niveau du pôle d’excellence lui-même, mais sur un site isolé, tant au plan géographique que technologique (et politique, j’allais bientôt m’en rendre compte à mes dépends), sans réelle émulation (ni même animation) scientifique.

Au fil des mois, je compris que le médecin avait souhaité me « récupérer » pour conduire une recherche biomédicale, éloignée de mes intérêts personnels et de mon domaine d’expertise. Pour pouvoir être indépendant sur le plan thématique, il me fallait absolument assurer mon autonomie financière. J’ai jeté toutes mes forces dans la bataille, en acceptant sans réserve le jeu du système. J’ai ainsi joué le jeu des partenariats public-privé, en signant plusieurs contrats industriels « opportunistes », sur de la recherche appliquée à court terme, permettant à une société d’embaucher un doctorant tout en optimisant sa fiscalité (via le C.I.R). J’ai joué le jeu chronophage des dossiers de demande de financement, me jetant dans la compétition à corps perdu, faisant parfois passer des vessies pour des lanternes, passant plus de temps à rédiger et gérer des projets qu’à faire réellement avancer ma thématique. J’ai déposé un brevet parce que la valorisation était « dans l’air du temps ». J’ai participé à la précarisation de l’emploi, en recrutant des contractuels. J’ai demandé et obtenu la P.E.S, refusant de voir toutes les mains (d’étudiant-e-s, d’ITA, de collègues…) qui avaient contribué autant que les miennes à son obtention. J’ai publié et tente encore de publier mes travaux dans de « grands journaux » (à fort facteur d’impact), pour me conformer à l’esprit d’excellence. Pour ce faire, j’ai dû augmenter encore davantage mon rythme de travail, à la limite de ce que ma famille, et mon organisme pouvaient supporter. J’ai échappé au « burn-out », mais pas au scénario écrit d’avance, que j’allais finir par comprendre, comme on assemble peu à peu les différentes pièces d’un puzzle.

D’abord, il y eut le chef d’équipe médecin, venu m’expliquer qu’il fallait se recentrer sur sa problématique biomédicale, pour des raisons d’affichage thématique, l’interdisciplinarité n’étant plus à la mode. Du coup, il y eut mes tentatives, vaines, de monter ma propre équipe de recherche dans d’autres laboratoires de la ville. Pourtant, j’y croyais : le projet était solide, le nerf de la guerre ne manquait pas, mes collègues de toujours me suivaient dans cette aventure qui était aussi la leur. Mais voilà, je n’étais pas introduit par un mandarin (celui que j’avais quitté avait accédé à un poste à responsabilités à l’Université et ne se gênait pas de dire tout le bien qu’il pensait de moi à qui voulait l’entendre), je n’étais pas du sérail, je n’étais pas non plus une « star » venue d’ailleurs, j’étais devenu un « pied nickelé » et je venais de dépasser la limite d’âge pour les financements de création d’équipe à destination des jeunes chercheurs. Je comprenais peu à peu qu’il ne suffisait pas d’être méritant et passionné, encore fallait-il être coopté, adoubé, ou starifié, assurer la direction « officielle » d’une équipe étant souvent un marchepied pour espérer finalement s’élever au grade de D.R. Je me mis alors à toiser avec frustration ces autres chefs d’équipe, pas tous meilleurs publiants, pas meilleurs communicants non plus, souvent pas plus talentueux que moi pour réunir des financements ou nouer des collaborations, mais qui avaient la chance d’avoir le « bon profil », et n’avaient pas fait de vagues.

J’avais exploré des chemins de traverse, forgé avec peine mon propre sillon, mes efforts commençaient à porter leurs fruits, je devenais reconnu dans ma thématique, j’étais invité à donner des conférences, ou mon point de vue d’expert. Mais je commençais à comprendre que ce ne serait jamais suffisant, que non seulement on ne me permettrait pas d’accéder au statut de chef d’équipe là où je me trouvais, mais que le risque était palpable qu’on ne me laisse plus être libre et souverain dans mes activités de recherche.

Mes craintes se confirmèrent, et les événements prirent rapidement la tournure d’une descente aux enfers. Il y eut d’abord cette décision des organismes de tutelle de se retirer, pour le quinquennal à venir, du site hospitalier où se trouvait mon équipe. J’étais contraint de présenter une nouvelle fois une candidature d’équipe, mais cette fois-ci pour avoir le droit de rester dans mon Unité pour y poursuivre mes recherches. Je passais un oral devant un « Scientific Advisory Board » (composé ce jour-là de deux personnes) convoqué par mon Laboratoire. Je n’avais pas anticipé que le futur Directeur d’Unité allait se servir de leurs recommandations pour conclure que ma thématique n’était pas en adéquation avec la politique scientifique qu’il avait décidée. On daigna m’informer par courriel (et encore, à ma demande expresse) que ma candidature était rejetée, malgré ma « capacité à financer et diriger des recherches », et que l’on m’invitait à trouver une nouvelle affectation.

Mais vers qui me tourner, si proche du passage du HCERES (ex-AERES) ? Tous les organigrammes étaient ficelés de longue date et je me retrouvais sur le carreau. La décision de m’évincer, parait-il, avait été prise de façon « collégiale », avec l’entremise d’autres chefs d’équipe. Bien qu’habitué à être autonome et n’ayant pas demandé de moyens particuliers, on invoqua également la réduction généralisée des ressources que connaît actuellement le monde de la recherche. Ma démarche proactive de création d’équipe se soldait donc une nouvelle fois par un fiasco, j’avais sous-estimé la pression exercée par les instances d’évaluation sur les Directions d’Unités, la mise en concurrence des projets et de leurs porteurs, les intentions égoïstes avançant derrière le masque de l’intérêt collectif, l’impossibilité d’échapper à une case une fois qu’on y avait été catalogué, l’ombre de mon « C » qui n’avait sans doute pas été oubliée. N’étant pas partie prenante dans la nouvelle aventure du médecin, qui avait décidé de rattacher son équipe à une structure biomédicale plus visible pour lui, et n’apparaissant pas non plus dans le futur contrat d’objectifs de mon Unité, je n’étais nulle part.

A l’heure où j’écris ces lignes, je ne sais si mon bilan ou même mon nom apparaissent sur un quelconque document officiel à destination du HCERES. Je suis devenu invisible. Surmontant tant bien que mal mon sentiment d’échec, d’humiliation, d’exclusion, d’injustice, d’empêchement, je tentais bien de me débattre, interpellant mes instances hiérarchiques. On m’expliqua, à l’occasion d’une brève discussion, qu’il n’était pas envisageable de passer outre la décision du futur D.U, omnipotent en matière de politique scientifique, que ma recherche, bien que de bonne qualité, n’était pas « excellente », qu’il me fallait me remettre en cause, qu’il me fallait entrer dans des cases, que je n’avais pas fait les bons choix (en quittant le carriériste et en refusant d’abandonner ma discipline pour celle du médecin ?), que cela n’étant pas vraiment gênant que ma thématique soit abandonnée, que le niveau de lecture était celui des politiques de site, et pas des individus, que l’on attendait de moi enfin que je propose un nouveau souhait d’affectation, y compris dans d’autres villes (l’argument que je tentais d’opposer, celui de mon épouse elle aussi fonctionnaire, n’ayant déclenché aucune réaction d’empathie). Peu après, ironie du sort, j’appris que le médecin accueillait le carriériste (attiré par la perspective d’un poste de PU-PH) dans le laboratoire jouxtant mon bureau.

La boucle était bouclée. J’avais été dévoré. Par l’ogre caché de la Recherche, c’est-à-dire par tout ce qui ne concerne pas le travail de recherche lui-même, par le marasme dans lequel ce noble travail baigne et vivote. Que me reste-t-il aujourd’hui ? D’abord, des collègues dont j’ai la faiblesse de croire qu’ils m’apprécient (et c’est réciproque), des projets à terminer avant la fin du quinquennal, des articles à soumettre,…. Et le plaisir de chercher, pour la beauté du geste, pour avoir le sentiment d’apporter ma pierre à l’édifice. Pour conjurer l’amertume.

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